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Sur la piste de nos cousins les bonobos - Souvenir de terrain

Voir des bonobos sauvages se mérite, et ceux qui ont à ce jour eu la chance de les croiser à l’état sauvage sont encore assez rares. Renaud Fulconis, responsable de Saïga, a eu la chance de les côtoyer dans leur habitat. Il développait alors un programme de conservation sur l’espèce dans la région de Basankusu, dans la province de l’Équateur, au nord ouest de la République Démocratique du Congo. Une expérience exceptionnelle, loin de tout, à 24 heures de pirogue de la ville la plus proche.
© Renaud Fulconis
La plupart d’entre nous rêvent d’observer un jour à l’état sauvage, un animal particulier. Pour ma part et depuis bien longtemps, j’avais le souhait de voir dans son habitat l’ornithorynque (Ornithorhynchus anatinus), la panthère des neiges (Panthera uncia) et le bonobo (Pan paniscus). J’ai eu la chance d’observer l’ornithorynque sur Kangaroo Island, au sud-est de l’Australie au début des années 90, la panthère des neiges au Ladakh dans le cadre d’un voyage que j’encadrais pour Saïga en 2019, et le bonobo pour la première fois en août 2007.
Au sein de l’ONG Awely, que j’ai montée en 2005 et que je dirigeais alors, nous envisagions de mettre sur pied un programme de conservation en faveur des bonobos. Claudine André, la fondatrice du sanctuaire Lola ya Bonobo à Kinshasa, nous avait alors proposé, à ma collègue Eva et à moi, de l’accompagner dans la réserve de Lomako, au nord-ouest de la République démocratique du Congo, seul pays au monde où vivent nos plus proches cousins. Avec nous, Alain Tixier, réalisateur, qui effectuait alors des reconnaissances pour le film Bonobos qui est sorti sur les écrans en 2011.
Nous nous sommes retrouvés à Basankusu, une commune de l’Ouest de la République Démocratique du Congo, au bord de la rivière Maringa. De là, nous avons embarqué pour un voyage de 24 heures dans une longue et étroite pirogue. Un voyage exceptionnel bien qu’inconfortable, presque seuls au monde. L’occasion de découvrir de rares hameaux de quelques huttes, très isolés, jalonnant le parcours, et parfois une embarcation de pêcheurs ou de transport. Pour rejoindre des communes situées en aval de leur lieu d’habitation, les villageois construisent de petits radeaux avec, au milieu, un abri fait de rondins contre le soleil. Ne reste alors plus qu’à se laisser dériver lors d’un voyage qui peut durer plusieurs jours. D’autres embarquent sur des barges immenses, à bord desquelles règnent une promiscuité et des conditions d’hygiène déplorables, parfois plusieurs semaines durant.
© Renaud Fulconis
À l’exception de ces rares signes de présence humaine, pas de bruits sur les berges, tant la forêt est dépeuplée d’une proportion considérable de ses habitants à poils, à plumes et à écailles. Ici, tout ce qui bouge se consomme, et la viande de brousse contribue gravement à l’appauvrissement de la densité d’un nombre considérable d’espèces.
De la rivière Maringa, nous rejoignons la Lomako, plus étroite, puis atteignons enfin notre destination. Les villageois nous accueillent, et transportent jusqu’au camp l’ensemble du matériel et des sacs. Nous les suivons sur un chemin qui serpente au milieu d’une forêt dense. Il nous faut parfois mettre les pieds dans l’eau avant d’arriver au camp. Dans une clairière, loin de tout, est installé un campement. C’est là qu’une équipe de chercheurs américains étudie les bonobos sauvages. C’est parmi eux que nous allons passer les prochains jours.
© Renaud Fulconis
Le soir, nous faisons la connaissance des pisteurs tout juste rentrés. Le groupe de bonobos qu’ils suivent s’est arrêté pour la nuit, à un kilomètre environ. Au petit matin, avant le lever du soleil, lampe frontale allumée sur le front, nous suivons l’équipe sur un parcours jalonné de branches et de lianes. Bien qu’il soit encore tôt, je transpire à grosses gouttes et ma chemise est trempée de sueur. Sur mon épaule, un trépied et un boitier photo sur lequel est monté un objectif 500 mm, très lourd. Ma progression est inconfortable et parfois mon pied se prend dans une branche. Je dois redoubler de concentration pour ne pas chuter.
Après une petite heure, invités au silence, nous parvenons là où les pisteurs ont laissé les bonobos la veille. Au-dessus de nos têtes, à plus d’une dizaine de mètres dans les arbres, les bonobos terminent leur nuit. Dans le ciel qui s’éclaircit un peu, il me semble distinguer quelques nids. Des nids à usage unique que ces fascinants grands singes construisent chaque soir avec des branches et des feuilles.
© Renaud Fulconis / Lola ya bonobo
Assis sur le sol humide, je récupère et me laisse baigner par le plaisir. J’ai le sentiment de vivre un moment tout à fait exceptionnel. Dans peu de temps, je vais observer pour la première fois des bonobos sauvages. Un évènement que j’attends depuis tant d’années et que je m’estime particulièrement privilégié de pouvoir vivre bientôt.
La lumière se fait de plus en plus forte et je distingue à présent bien plus distinctement, trois nids au-dessus de nos têtes. Tout va alors très vite. En moins d’une minute, dans un bruit de branches qui craquent et de vocalises, le groupe se met en action. Ils sont nombreux, et semblent bien plus à l’aise haut perchés dans les arbres que je ne le suis sur la terre ferme, alourdi par le poids et l’encombrement de mon matériel photo. Ils passent d’un arbre à l’autre avec une déconcertante facilité, alors que je peine à faire quelques mètres parmi les racines et les lianes. Je parviens à poser mon trépied et à faire quelques clichés d’un individu, loin de moi et haut perché. Puis je reste à les regarder, sourire aux lèvres. J’ai l’impression qu’ils marchent sur les arbres et je profite simplement de cet instant exceptionnel.
© Renaud Fulconis / Lola ya bonobo
J’ai eu ensuite d’autres occasions d’observer des bonobos sauvages, plus récemment sur le programme Mbou-Mon-Tour dans le territoire de Bolobo au nord de Kinshasa. Aucune, cependant, n’a eu l’intensité de cette première rencontre que je ne risque pas d’oublier.
Renaud Fulconis.
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